DOSSIER SPECIAL
Le
« CRAN », est-ce une révolution ?
« A
l’aube du troisième millénaire, les noirs sont encore confrontés à des
préjugés séculaires. Ces préjugés se traduisent par des discriminations
raciales dans différents domaines de leur vie, notamment dans l’accès à
l’emploi, à la formation, au logement, aux responsabilités sociales,
économiques et politiques.
Ainsi,
une fédération des associations noires de France vient de voir le jour, pour
rompre avec cette logique de stigmatisation et de discrimination. A travers
cette instance, les populations noires entendent défendre leurs droits tout
en assumant leurs obligations au sein de la société française.
Mais, il
s’agit avant tout d’interpeller les pouvoirs publics et les différentes
composantes de la société au devoir de mémoires, afin d’œuvrer au respect de
la diversité et pour favoriser les valeurs républicaines inscrites dans la
constitution française. »
L’an 2005 restera gravé
dans la mémoire collective et dans les annales, comme l’année « noire » en
France, avec une succession d’évènements majeurs ayant abouti à la naissance
du « CRAN » : Conseil Représentatif des Associations Noires.
Le ton est d’abord donné
par la députée noire des Dom Tom, Christiane Taubira qui se bat pour faire
adopter le 21 mai 2001 une loi qui qualifie l’esclavage et la traite des
noirs, de crime contre l’humanité. Ensuite ce sont les prises de position
fracassantes de l’humoriste Dieudonné, qui met en concurrence, les mémoires
des traites négrières avec celle de la Shoah, va contribuer à porter la
question noire sur la place publique.
Avant eux, certaines
organisations communautaires avaient tenté de faire entendre leur voix sur
« l’invisibilité » des noirs. C’est le cas de Africagora, club de lobbying
destiné à faire entrer les Noirs antillais ou africains dans les entreprises
et les partis politiques…
Par ailleurs, la loi du 23
février 2005 prévoit que « les programmes scolaires reconnaissent en
particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en
Afrique du Nord ». Dans le même temps, une circulaire de rattrapage de l’Education
nationale du 14 novembre invite les enseignants à insister sur le devoir de
mémoire sur la traite négrière, l’esclavage et leur abolition. Alors que,
tout le monde sait que rien n’a été fait pour entretenir la flamme d’espoir
de la France blanc-black-beur née de la coupe du monde de 1998, qui s’est
vite éteinte. De plus, faute de cohérence et de courage politiques, « la
politique française de la ville » sous les différents gouvernements (gauche
et droite) a oscillé entre le « tout social » et le « tout répressif »,
débouchant sur une politique d’intégration en panne, avec une hiérarchie
communautaire qui ne dit pas son nom. Au point qu’un célèbre quotidien
britannique titrait récemment : Liberté-Egalité-Fraternité-Réalités.
L’année 2005 va porter un
coup d’accélérateur à l’histoire de cette réalité des diversités ethniques
en France, entraîné par une succession d’évènements malheureux et
regrettables :
En premier lieu, les
manifestations lycéennes du 8 mars où les jeunes noirs des cités sont
pointés du doigt comme des « fauteurs de trouble » et qualifié
d’ »anti-Blancs » par l’intellectuel Alain Finkielkraut. Puis une vague
d’incendies non encore élucidés va décimer la communauté africaine noire à
Paris. Le ministre de l’intérieur Nicola Sarkozy ne fera qu’entretenir la
poudrière d’une intégration moribonde en employant des termes comme
« racaille » (version un peu moderne de l’indigène des colonies), avant que
ses policiers ne mettent le feu aux poudre en provocant la mort de deux
adolescents « black-beur » à Clichy-sous-Bois le 27 Octobre. L’embrasement
des banlieues qui s’ensuit résulte du manque de responsabilité politique et
du cri du cœur de jeunes citoyens français, majoritairement issus de cette
immigration africaine (subsaharienne et maghrébine) qui a puissamment
contribué au développement de la France pendant la période des « trente
glorieuses ».
Face aux « jusqu’au
boutistes » à la recherche de boucs émissaires comme l’académicienne Hélène
Carrère d’Encausse et certains maires de droite, qui fustigent la polygamie,
face à la course poursuite engagée derrière l’électorat du front national en
vue de la présidentielle de 2007, sur fonds de surenchère de la crise des
banlieues et d’instrumentalisation de la crainte sécuritaire des Français,
la communauté noire, (communauté la plus discriminée de France) s’est sentie
moralement et matériellement fragile et en danger. Elle se devait donc de
réagir pour exister, en mettant en place un groupe de pression capable d’un
effet de levier face aux autorités, aux institutions de la république et à
la société française.
C’est dans ce contexte qu’a
été lancé le samedi 26 novembre 2005, dans un lieu symbolique, (l’Assemblée
nationale française), le « CRAN », en présence de quelques leaders du monde
noirs tels: Fodé Sylla, ex-président de SOS racisme, Stéphane Paucrain, ex
porte-parole des Verts, Basile Boli, ex international de l’équipe de France,
le célèbre saxophoniste Manu Dibango, la journaliste émérite d’Africa N°1
Eugénie Diécky et bien sûr Patrick Lozès président fraîchement élu du
« CRAN » ainsi que l’universitaire Louis-georges Tin.
Tous ont apporté leur
soutien à ce mouvement fédérateur noir, une première en laquelle ils croient
fermement.
Bref, le « CRAN », est-ce
une révolution ? Seul l’avenir nous le dira. Mais une chose est sûre, les
Noirs de France ont du cran et entendent le prouver par des actions
d’envergure, devant aboutir à une série d’objectifs, notamment :
- La réhabilitation de la
mémoire historique des populations noires de France,
- promouvoir la solidarité
au sein de la communauté noire,
- Coopérer avec toutes les
forces qui luttent pour la défense des droits de l’homme et contre le
racisme, la xénophobie et toutes les formes d’intolérance,
- Constituer enfin, un
interlocuteur de poids face aux représentants politiques, aux acteurs
économiques et aux autorités publiques, pour une intégration
socioprofessionnelle qualitative des noirs de France.
Pouvait-il en être
autrement ?
Dossier réalisé par
B.DIABY
AfricadenceNews
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