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Les œuvres d’arts africains, quel avenir ?

 

                        

A l’occasion de chaque vente de collections d’œuvres d’art africain à Paris, Londres ou Bruxelles, quelques voix faibles et isolées s’élèvent pour dénoncer le pillage systématique du patrimoine africain. Mais elles sont vite étouffées par les urgences de l’actualité. Cette fois, les douanes françaises ont jeté un véritable coup de projecteur sur un pillage qui achève le désastre causé en Afrique par l’esclavage, le colonialisme puis par la dégradation des termes de l’échange. En effet elles viennent d’effectuer, comme nous le rapportait l’AFP du 3 février dernier, une « saisie exceptionnelle » d’art africain comprenant 845 pièces ( dents de dinosaures, poteries, pointes de flèches) en provenance du Niger et à destination de la Belgique, couvrant « quasiment toute l’histoire et la préhistoire de l’Afrique ».

Face à ce fléau qui mine l’âme de l’Afrique « berceau de l’humanité », nous sommes en droit de nous demander quel avenir est réservé aux œuvres d’arts africains.




Par B. Diaby
AfriCadenceNews
b.diaby@africadence.com

 

Etat des lieux

L’arrivée des Européens en terre africaine a incontestablement provoqué un choc des civilisations et des conceptions artistiques. En Afrique, l’œuvre d’art a d’abord une fonction spirituelle et religieuse ; sacrée, elle n’est la propriété de personne et ne peut être vendue.

Avec le pillage systématique, les peuples de ce continent sont dépossédés d’objets rituels et culturels importants. D’abord, un pillage ordonné à grande échelle, dès le 19ème siècle, par la soldatesque coloniale. Les objets arrachés de force aux communautés autochtones sont désacralisés, parce que soustraits de leur contexte originel ; beaucoup arrivent en Europe sans information sur leur origine, leur fonction ou leur créateur.  Puis, depuis les indépendances, un pillage méthodique qui bénéficie de complicités africaines et qui se fait au profit de collectionneurs privés, de marchands d’art, voire parfois d’institutions ayant pignon sur rue tels que : Musée  de l’Homme à Paris, British Muséum à Londres ou Musée royal de Tervuren en Belgique.    




Masque Guéré, Côte d'Ivoire



La responsabilité africaine de ce pillage résulte des crises politiques et économiques ainsi que des conflits armés qui paupérisent les populations rurales. Leur dernier recours est souvent de vendre leur patrimoine culturel, religieux ou familial. Mais les complices africains conscients ou inconscients appartiennent à tous les milieux. Les acteurs professionnels sont ces « antiquaires » sans foi ni loi qui, installés dans les grandes villes, sillonnent les villages à la recherche d’œuvres dont commandes leur ont été passées. Ils s’appuient sur des relais locaux, le plus souvent des jeunes désoeuvrés appartenant aux familles dépositaires ou gardiennes des objets sacrés, qu’ils corrompent pour peu d’argent. Plus grave, on compte parmi les participants au trafic les fonctionnaires muséaux qu’appâtent le gain et sa facilité.

Aucun pays africain n’est épargné. Même si les zones de prédilections des trafiquants demeurent le Delta intérieur du Niger et le pays dogon au Mali, qui regorgent une grande richesse culturelle. En mars 2004, sur 40.000 pièces d’antiquités pharaoniques volées il y a quatre ans, seulement 619 ont été remises à l’Egypte par la Grande-Bretagne. De même, en Algérie, ce sont cinq touristes allemands qui ont été interceptés fin novembre 2004 pour vol de 130 « pièces archéologiques protégées » dans le parc national du Tassili. Au Burkina Faso, le masque-papillon Bobo est toujours porté disparu. Bref, la liste de ces « crimes contre l’humanité » est loin d’être exhaustive.

 

 

Quelles en sont les conséquences ?

L’impact de la disparition d’un bien culturel dépend du contexte.

Dans une communauté où les masques sont régulièrement créés et utilisés dans des rituels, la pièce vendue sera rapidement remplacée. C’est le cas des masques des sociétés initiatiques du Poro en Afrique de l’Ouest ou de masques pour l’initiation masculine Mukanda en Afrique centrale.


bijoux d'art (Tellem Gallery)
http://pages.infinit.net/tellem/

Dans une autre communauté où les masques sont rares et utilisés à intervalles plus longs, parfois tous les cinq ou dix ans, le vol ou la vente d’un objet fait disparaître le rituel et détruit les pratiques sociales qui y sont associées. Cela est d’autant plus grave pour les ethnies minoritaires qui ne comptent que quelques milliers de membres.

Souvent, les objets les plus sacrés sont considérés comme des « personnes » ayant un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de la communauté, garantissant la santé, les valeurs, la fertilité, l’abondance des récoltes. Leur valeur est alors inestimable.

Dans les musées en Afrique, c’est l’essentiel des collections les plus précieuses (les masques et les statuettes) qui est fréquemment dérobé. Par exemple, en Zambie, des dommages irréparables ont été infligés aux collections du Musée de Livingstone (collections ethnographiques et livres anciens). Dans bien des cas, les données afférant aux collections sont également détruites pour empêcher toute identification ultérieure. Peu de pièce ayant fait l’objet de publications, il sera très difficile de récupérer quoi que ce soit.

Ainsi comme le fait remarquer à juste titre Philippe Baqué : « Chaque statuette archéologique arrachée précipitamment à son contexte pour nourrir la spéculation du marché de l’art devient à jamais muette sur la civilisation qui l’a engendrée et contribue à entretenir le mythe d’une Afrique sans histoire. »

Quelles solutions ; pour quel avenir ?

Un bien culturel volé est une âme de perdue. Il importe donc de mettre en place des stratégies pour lutter contre un trafic aux conséquences morales et sociales dévastatrices. L’UNESCO, l’ICCROM, l’ICOM, des ONG, de nombreuses conférences internationales ont déjà tiré la sonnette d’alarme et fait des recommandations : un comité intergouvernemental pour la promotion du retour des biens culturels à leur pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale, fondé en 1980 et réunissant aujourd’hui 22 Etats doit compter plus de membres. Il faut également encourager la convention Unidroit adopté en 1995, mais seulement ratifiée par 18 pays, qui a le mérite de clarifier les  conditions des échanges licites et de donner aux Etats victimes d’exportations frauduleuses, la possibilité d’obtenir le concours de la communauté internationale pour protéger leur patrimoine.

En cela, la question de la restitution, souvent présentée de manière polémique, mérite un traitement raisonné, comme le souhaite la résolution « retour ou restitution des biens culturels à leur pays d’origine », adoptée par l’ONU en décembre 2002 (A/RES/56/97).

En outre, il importe d’améliorer la législation en vigueur dans les Etats africains concernés par le fléau et de renforcer les capacités des administrations chargées de la faire respecter ; promouvoir une meilleure collaboration avec Interpol ; élaborer des politiques d’information, d’éducation et de recherche afin de sensibiliser les populations et les décideurs à l’importance du patrimoine culturel ; inventorier, documenter et gérer avec rigueur le patrimoine culturel ; renforcer le contrôle de la circulation des biens culturels.

Par ailleurs, dans un souci d’égale dignité des diverses formes de création, les chefs-d’œuvre africains présents en Europe ou ailleurs, doivent être placés dans un cadre digne d’eux dans le plein respect des cultures où ils sont nés, à l’instar du bâtiment de Jean Nouvel qui s’édifie au cœur de Paris.

Enfin, les élites africaines doivent se ressaisir de l’étude de leurs propres artistes et redonner toutes leurs dimensions à ces créations. Mais au-delà de la dimension purement artistique, il y’a la dimension économique, source de toutes les dérives, à prendre en compte.

En effet, comment parler de patrimoine quand la faim et la pauvreté conduisent à la destruction des sites naturels, des sols et des biotopes ainsi qu’à la vente illicite et au pillage de biens culturels ? Que restera-t-il de la diversité culturelle si les musiciens, les écrivains, les acteurs, les chorégraphes ou les stylistes africains ne peuvent créer et faire circuler leur production ? Surtout, comment pourront-ils enrichir la culture mondiale, aux côtés de leurs collègues d’Europe, d’Asie ou d’Amérique, si les seules règles marchandes s’appliquent à leur création ? Dans ce nouveau contexte de mondialisation et de globalisation tous azimuts, seul, l’avenir nous le dira…

 

Dossier réalisé par B.Diaby  « africadenceNew »  

     


Masque Demba,
Guinée

 

 


 

 

 

Par B. Diaby
 
AfriCadenceNews
 b.diaby@africadence.com


Source Photo des Masques: KWO ,Demba                     
Musée Dapper - Paris
50, avenue Victor Hugo
75116 Paris
Tél : (1) 45 00 01 50

bijoux d'art (Tellem Gallery)
http://pages.infinit.net/tellem/


Dossiers précédents

* Février 2005 :  Le Masque Africain

* Janvier 2005 :
 Les webradios et la musique africaine

* Décembre 2004 : La Piraterie, à qui la faute ?

* Novembre 2004 : Zouglou, que sont-ils devenus ?

* Octobre 2004 :   Qu'est ce que le KOTEBA ?

* Septembre 2004 : La Prudencia envahit Abidjan

 



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