Par B. Diaby
AfriCadenceNews
b.diaby@africadence.com
Etat des lieux
L’arrivée des Européens en terre
africaine a incontestablement provoqué un choc des civilisations et des
conceptions artistiques. En Afrique, l’œuvre d’art a d’abord une fonction
spirituelle et religieuse ; sacrée, elle n’est la propriété de personne et
ne peut être vendue.
Avec le pillage systématique, les
peuples de ce continent sont dépossédés d’objets rituels et culturels
importants. D’abord, un pillage ordonné à grande échelle, dès le 19ème
siècle, par la soldatesque coloniale. Les objets arrachés de force aux
communautés autochtones sont désacralisés, parce que soustraits de leur
contexte originel ; beaucoup arrivent en Europe sans information sur leur
origine, leur fonction ou leur créateur. Puis, depuis les indépendances, un
pillage méthodique qui bénéficie de complicités africaines et qui se fait au
profit de collectionneurs privés, de marchands d’art, voire parfois
d’institutions ayant pignon sur rue tels que : Musée de l’Homme à Paris,
British Muséum à Londres ou Musée royal de Tervuren en Belgique.
Masque
Guéré, Côte d'Ivoire
La responsabilité africaine de ce
pillage résulte des crises politiques et économiques ainsi que des conflits
armés qui paupérisent les populations rurales. Leur dernier recours est
souvent de vendre leur patrimoine culturel, religieux ou familial. Mais les
complices africains conscients ou inconscients appartiennent à tous les
milieux. Les acteurs professionnels sont ces « antiquaires » sans foi ni loi
qui, installés dans les grandes villes, sillonnent les villages à la
recherche d’œuvres dont commandes leur ont été passées. Ils s’appuient sur
des relais locaux, le plus souvent des jeunes désoeuvrés appartenant aux
familles dépositaires ou gardiennes des objets sacrés, qu’ils corrompent
pour peu d’argent. Plus grave, on compte parmi les participants au trafic
les fonctionnaires muséaux qu’appâtent le gain et sa facilité.
Aucun pays africain n’est épargné. Même
si les zones de prédilections des trafiquants demeurent le Delta intérieur
du Niger et le pays dogon au Mali, qui regorgent une grande richesse
culturelle. En mars 2004, sur 40.000 pièces d’antiquités pharaoniques volées
il y a quatre ans, seulement 619 ont été remises à l’Egypte par la
Grande-Bretagne. De même, en Algérie, ce sont cinq touristes allemands qui
ont été interceptés fin novembre 2004 pour vol de 130 « pièces
archéologiques protégées » dans le parc national du Tassili. Au Burkina
Faso, le masque-papillon Bobo est toujours porté disparu. Bref, la liste de
ces « crimes contre l’humanité » est loin d’être exhaustive.
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Quelles en sont les
conséquences ?
L’impact de la disparition d’un bien
culturel dépend du contexte.
Dans une communauté où les masques sont
régulièrement créés et utilisés dans des rituels, la pièce vendue sera
rapidement remplacée. C’est le cas des masques des sociétés initiatiques du
Poro en Afrique de l’Ouest ou de masques pour l’initiation masculine Mukanda
en Afrique centrale.
bijoux d'art (Tellem Gallery)
http://pages.infinit.net/tellem/
Dans une autre communauté où les masques
sont rares et utilisés à intervalles plus longs, parfois tous les cinq ou
dix ans, le vol ou la vente d’un objet fait disparaître le rituel et détruit
les pratiques sociales qui y sont associées. Cela est d’autant plus grave
pour les ethnies minoritaires qui ne comptent que quelques milliers de
membres.
Souvent, les objets les plus sacrés sont
considérés comme des « personnes » ayant un rôle essentiel dans le bon
fonctionnement de la communauté, garantissant la santé, les valeurs, la
fertilité, l’abondance des récoltes. Leur valeur est alors inestimable.
Dans les musées en Afrique, c’est
l’essentiel des collections les plus précieuses (les masques et les
statuettes) qui est fréquemment dérobé. Par exemple, en Zambie, des dommages
irréparables ont été infligés aux collections du Musée de Livingstone
(collections ethnographiques et livres anciens). Dans bien des cas, les
données afférant aux collections sont également détruites pour empêcher
toute identification ultérieure. Peu de pièce ayant fait l’objet de
publications, il sera très difficile de récupérer quoi que ce soit.
Ainsi comme le fait remarquer à juste
titre Philippe Baqué : « Chaque statuette archéologique arrachée
précipitamment à son contexte pour nourrir la spéculation du marché de l’art
devient à jamais muette sur la civilisation qui l’a engendrée et contribue à
entretenir le mythe d’une Afrique sans histoire. »
Quelles solutions ; pour quel avenir ?
Un bien culturel volé est une âme de
perdue. Il importe donc de mettre en place des stratégies pour lutter contre
un trafic aux conséquences morales et sociales dévastatrices. L’UNESCO, l’ICCROM,
l’ICOM, des ONG, de nombreuses conférences internationales ont déjà tiré la
sonnette d’alarme et fait des recommandations : un comité
intergouvernemental pour la promotion du retour des biens culturels à leur
pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale, fondé
en 1980 et réunissant aujourd’hui 22 Etats doit compter plus de membres. Il
faut également encourager la convention Unidroit adopté en 1995, mais
seulement ratifiée par 18 pays, qui a le mérite de clarifier les conditions
des échanges licites et de donner aux Etats victimes d’exportations
frauduleuses, la possibilité d’obtenir le concours de la communauté
internationale pour protéger leur patrimoine. |
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En cela, la question de la restitution,
souvent présentée de manière polémique, mérite un traitement raisonné, comme
le souhaite la résolution « retour ou restitution des biens culturels à leur
pays d’origine », adoptée par l’ONU en décembre 2002 (A/RES/56/97).
En outre, il importe d’améliorer la
législation en vigueur dans les Etats africains concernés par le fléau et de
renforcer les capacités des administrations chargées de la faire respecter ;
promouvoir une meilleure collaboration avec Interpol ; élaborer des
politiques d’information, d’éducation et de recherche afin de sensibiliser
les populations et les décideurs à l’importance du patrimoine culturel ;
inventorier, documenter et gérer avec rigueur le patrimoine culturel ;
renforcer le contrôle de la circulation des biens culturels.
Par ailleurs, dans un souci d’égale
dignité des diverses formes de création, les chefs-d’œuvre africains
présents en Europe ou ailleurs, doivent être placés dans un cadre digne
d’eux dans le plein respect des cultures où ils sont nés, à l’instar du
bâtiment de Jean Nouvel qui s’édifie au cœur de Paris.
Enfin, les élites africaines doivent se
ressaisir de l’étude de leurs propres artistes et redonner toutes leurs
dimensions à ces créations. Mais au-delà de la dimension purement
artistique, il y’a la dimension économique, source de toutes les dérives, à
prendre en compte.
En effet, comment parler de patrimoine
quand la faim et la pauvreté conduisent à la destruction des sites naturels,
des sols et des biotopes ainsi qu’à la vente illicite et au pillage de biens
culturels ? Que restera-t-il de la diversité culturelle si les musiciens,
les écrivains, les acteurs, les chorégraphes ou les stylistes africains ne
peuvent créer et faire circuler leur production ? Surtout, comment
pourront-ils enrichir la culture mondiale, aux côtés de leurs collègues
d’Europe, d’Asie ou d’Amérique, si les seules règles marchandes s’appliquent
à leur création ? Dans ce nouveau contexte de mondialisation et de
globalisation tous azimuts, seul, l’avenir nous le dira…
Dossier réalisé par B.Diaby « africadenceNew »
Masque Demba,
Guinée
Par B. Diaby
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