Ernesto
Djédjé, 22 ans après
Décédé le 9 juin 1983 à l’hôpital militaire de Yamoussoukro, Ernesto Djédjé,
le Gnoantré national a disparu au moment où son ziglibity faisait tache
d’huile. Flash-back sur la carrière de cet artiste trop tôt disparu.
Chanteur, danseur,
compositeur, musicien, arrangeur, Ernesto Djédjé était le modèle d’artiste
multidimensionnel. Il a débuté sa carrière de musicien en jouant d’abord de
la guitare au début des années 60 à Treichville où il vivait avec un de ses
oncles. De retour de France où il était allé étudier, Ernesto Djédjé est
embauché à San Pedro comme responsable culturel à l’Aménagement de la Région
du Sud Ouest (ARSO). Une société montée à l’époque par Emmanuel Dioulo.
Fonctionnaire et en même temps musicien, il forme le San Pedro Orchestra.
Quelques années plus tard, il démissionne de son poste à l’ARSO puis
débarque à Abidjan.
Amédée Pierre qui avait besoin à cette époque d’un guitariste, lui fait
appel dans son groupe l’Ivoiro Star. Après plusieurs années aux côtés du roi
du Dopé, Ernesto s’envole de nouveau pour la France pour enregistrer ses
premières chansons Anowa, puis Mahoro, Mamadou Coulibaly etc. Quand le
Gnoantré National gravait Adjissè sur disque, au Nigeria, il n’avait que
vingt-six ans.
Une décennie plus tard, l’artiste a succombé des suites d’un mal que les
médecins ont diagnostiqué comme étant une crise d’ulcère.
Le show-biz ivoirien venait de perdre l’un de ses plus illustres artistes
musiciens.
Le divorce entre le maître et le filleul
Le passage d’Ernesto Djédjé au sein de l’orchestre Ivoiro Star du doyen
Amédée Pierre a été un tournant décisif dans sa carrière. Car c’est à partir
de cette étape que Djédjé a pris véritablement son envol artistique.
Obsédé par l’envie de voler de ses propres ailes, l’élève avait emprunté
souvent des chemins tortueux pour échapper à la vigilance de son maître,
Amédée Pierre. Talentueux musicien et compositeur qu’il était, Djédjé
commençait à prendre du coffre dans l’écurie de son patron. “Ses
arrangements étaient percutants”, reconnaît le roi du Dopé. Mais seulement,
à un moment donné, les deux hommes se sont laissés aller à une sorte de
conflit par chansons interposées. C’est Ernesto qui aurait engagé, le
premier, les hostilités en disant dans l’une de ses chansons que c’est lui
qui apprend à chanter aux autres. Ce que n’a pas apprécié Amédée qui aurait
répliqué plus tard que c’est lui le coq de la basse-cour qui réveille les
gens à l’aube.
La discorde avait enflé au point qu’à la mort de Djédjé, Amédée Pierre
n’aurait pas daigné assister à son inhumation dans son village à Tahiraguhé
dans le département de Daloa. “Faux ! Rétorque le roi du Dopé. J’ai été
victime de diffamation”. Qui d’Amédée Pierre et les proches du Gnoantré dit
vrai ?
La naissance du Ziglibity
Le Ziglibity est un rythme originaire du Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire,
principalement de la région de Daloa. Mais avant de le moderniser et de le
porter à la connaissance des mélomanes ivoiriens et africains, Ernesto
Djédjé est passé par plusieurs labyrinthes musicaux avant d’aboutir à sa
découverte.
Tout a commencé par ses premières compositions Anowa et Mahoro dont la
musique est inspirée du jerk, un rythme occidental en vogue dans les années
70.
En 1976, il a trouvé le filon du ziglibity qu’il a commencé à peaufiner à
travers des recherches. Un an plus tard, Djédjé présente le fruit de ses
premières trouvailles musicales. Adjissè confirmera le succès du ziglibity
sur le marché national et africain.
Le succès du Ziglibity en Afrique
De tous les rythmes ivoiriens qui ont connu un succès certain dans la sous
région et en Afrique centrale, le ziglibity détient la palme d’Or. Car, dans
les années post-indépendances, la plupart des pays africains n’étaient
véritablement ouverts aux autres cultures, encore moins à un nouveau genre
musical dont le précurseur n’avait pas encore fini de boucler la promotion
sur son propre territoire.
Mais Ernesto Djédjé a eu l’audace de l’imposer hors de nos frontières rien
que par son talent de chanteur et de danseur.
La Haute-Volta, actuel Burkina Faso était l’un des premiers pays à
accueillir favorablement le ziglibity. Après, l’un des exploits de Djédjé
était de faire apprécier sa musique au cœur de l’Afrique centrale. Notamment
au Cameroun. Puis, il ya eu les autres pays comme le Bénin, le Mali, Togo,
la Guinée et le Libéria.
Les atouts d’Ernesto Djédjé
Excepté le fait que Djédjé était un artiste complet (musicien et chanteur
talentueux), il savait communiquer la passion de son art à son public par la
danse. L’homme était un virtuose en la matière. Mais avant de monter sur la
scène, il éblouissait d’abord par son style vestimentaire. Tout ce qu’il
portait comme habits contribuait à valoriser son jeu de scène. Sa coiffure
afro et ses favoris qu’il prenait plaisir à entretenir donnaient un look
viril à sa personnalité. Que ce soit de simples vêtements, des ensembles
gris, noirs ou blancs, Djédjé paraissait très élégant avec son physique
impressionnant (198 centimètres pour près de 95 kilos) qui ne laissait
personne indifférent.
Le professionnel
En dépit de son talent d’artiste, Ernesto n’était pas un homme à dormir sur
ses lauriers. Il s’acharnait sur le travail et l’exécutait avec perfection.
A tel point qu’à la veille de ses spectacles, il se contentait de prendre du
plaisir avec les femmes ou à jouer avec ses amis. Son art était presque sa
raison de vivre. Lors de son ultime voyage à Yakro, il s’enfermait en
permanence dans sa chambre pour travailler avec sa guitare.
Les femmes de Djédjé
L’Egyptienne Lola Moustapha Soher Galal était la femme légitime de Djédjé.
Du moins, celle qui était connue officiellement. Elle était enseignante de
formation et était professeur dans un collège de la place.
A côté de cette femme qui a partagé sa vie, Djédjé a connu plusieurs
aventures amoureuses sans lendemain dont certaines ont porté ses fruits.
Soher Galal, la titulaire à qui le chanteur avait dédié la chanson Lola n’a
eu que deux gosses avec le Gnoantré national. Les autres enfants conçus avec
ses nombreuses conquêtes ont été abandonnés à leurs génitrices respectives.
A l’instar des grandes vedettes du show-biz telles que Fulgence Kassy, Bob
Marley, Elvis Presley, Jimmy Hendrix, Ernesto Djédjé doit son succès en
partie aux femmes. A preuve, lors de son ultime voyage à Yakro où il
comptait s’installer définitivement, l’homme se trouvait en galante
compagnie avec Chantal, l’une de ses petites amies. Cette dernière est
décédée deux ans après la disparition de Djédjé.
Que reste-t-il du ziglibity ?
Voilà plus de deux décennies qu’Ernesto Djédjé a tiré sa révérence. Cela
fait également deux décennies que le ziglibity, héritage musical du Gnoantré
national est rangé dans les tiroirs de l’oubli.
Aujourd’hui le constat est clair. Après quelques brouilles de succession
juste après l’inhumation du Maestro, les clameurs se sont tues dans le camp
des héritiers. On se contente de conjuguer les prouesses du précurseur du
ziglibity au passé. Car le manteau laissé par ce dernier est si grand que
personne ne peut l’enfiler. Mais que fait-on pour préserver le grand
patrimoine musical à nous légué par Djédjé ?
Comment perpétuer sa mémoire pour qu’on n’ait pas à le perdre définitivement
?
Si Djédjé n’a plus d’héritier pour le faire revivre, faisons en sorte pour
ressusciter l’artiste avec des journées d’hommages et à travers des ouvrages
littéraires, films, cassettes audio et CD… Il est bien d’honorer la mémoire
des emblèmes musicaux d’autres horizons, tel Bob Marley. Mais n’oublions pas
de célébrer les héros de la musique ivoirienne.
Amédée Pierre raconte Djédjé
LA RENCONTRE
“C’est en 1965 que j’ai rencontré Ernesto Djédjé et son ami
inséparable, Kanté Mamadou à Vavoua. Ils jouaient dans un orchestre de
fortune qu’ils avaient monté dans la région. Kanté avait environ 14
ans et Djédjé, à peu près 16ans. Comme ils étaient tous les deux
mineurs, nous sommes allés à Tahiraguhé pour demander la permission à
leurs parents la permission de les emmener avec moi. C’est Djédjé qui
m’intéressait. Sa mère était d’accord pour qu’il vienne avec moi. Mais
vu qu’il était inséparable d’avec son ami, j’étais obligé de les
prendre tous les deux avec nous. Le père de Djédjé était un Sénégalais
nommé Touré qui est reparti au pays. A sa naissance, sa mère l’a gardé
et lui a donné le nom de Djédjé, synonyme de l’Iroko (qui est un arbre
sacré en pays bété). C’est un nom qu’on donne aux enfants qui
représentent l’espoir pour leurs parents.”
L’AVENTURE DE DJEDJE
“En 1971, Ernesto est venu me voir un jour pour m’annoncer que son
père est décédé au Sénégal. Etant l’aîné, il voulait se rendre en
famille pour des problèmes d’héritage. Alors, j’ l’ai remplacé par un
jeune guitariste dida qui répondait au nom de Dido Pascal. Un an plus
tard, des étudiants ivoiriens, regroupés au sein du Mouvement des
Elèves et Etudiants de Côte d’Ivoire m’invitent pour leur bal à Metz,
en France. A ma grande surprise, je rencontre Ernesto Djédjé là-bas.
Quand il m’a vu, il a commencé à rire. J’étais logé à l’hôtel de
Champagne à la Gare du nord. 16, rue du Faubourg à Saint-Denis. Quand
il est venu me voir à l’hôtel, je lui ai demandé pourquoi il n’a pas
été sincère avec moi avant de voyager en France. Il m’a rien dit et
s’est contenté de rire. C’est à Paris qu’il a épousé l’Egyptienne
Soher Galal. Le jour de mon concert, il est venu et il a repris sa
place de guitariste titulaire au sein de l’orchestre et nous avons
joué ensemble. Ce soir-là, Pascal Dido a boudé car il s’était contenté
de jouer la guitare basse. A cette période, j’ai fait six mois de
tournée en France. J’ai joué à Aix en Provence, à trente kilomètres de
Marseille. Pendant ce temps Ernesto travaillait à Paris.”
LE CONFLIT
“Du vivant de Djédjé, il n’ya pas eu de conflit en tant que tel entre
nous. Si dans ses chansons, il a dit que c’est lui qui apprend à
chanter aux gens, force est de reconnaître qu’il ne m’a pas cité ni
mentionné mon nom dans une quelconque chanson. Ceci étant, je ne me
sentais pas concerné par ses proverbes. Si je n’aimais pas Djédjé,je
n’allais pas le former. J’ai été baptisé et confirmé en 1953. J’aime
mon prochain comme moi-même. Dieu seul sait ce que j’ai fait pour lui.
Quand j’étais au Conseil d’Administration du Burida au temps de BADMOS,
c’est moi qui ai fait gagner 7 millions francs CFA de droits d’auteur
à Djédjé.”
LE MALENTENDU DE L’ENTERREMENT
“Je n’ai pas été à l’inhumation de Djédjé, mais j’ai été le premier à
me rendre auprès de sa dépouille mortelle à Yamoussoukro. Son cousin
Moïse le sait. C’est lui qui est venu qui m’a appris le décès de
Djédjé.
Un matin, j’ai entendu quelqu’un frapper à ma fenêtre. Quand ma femme
a ouvert la porte, il nous a annoncé la terrible nouvelle. Nous étions
tous paniqués. Immédiatement, nous nous sommes rendus à Yakro. Je suis
parti à la morgue et j’ai demandé à voir le corps. Ils ont tiré le
casier et j’ai enlevé le pagne qui le recouvrait. Malheureusement
c’était bel et bien Ernesto Djédjé qui était couché là. Soudain, une
femme a surgi devant moi pour me menacer en disant : “Alors, tu es
content maintenant ? Prends le corps pour aller l’enterrer à
Tahiraguhé on va voir. Je me suis renseigné au sujet de cette femme et
j’ai appris par la suite que c’était la cousine de Djédjé. J’ai eu
très mal car elle m’accusait d’avoir tué son cousin.”
LA LEVEE DU CORPS
“Avant d’aller à la levée du corps de Djédjé, j’ai acheté une
bouteille de Gin avec un petit verre. Arrivé à Ivosep, il y avait sa
mère, la cousine en question plus une autre qui était institutrice à
Grand-Bassam.
Je me suis dirigé directement vers le cercueil qui était ouvert. J’ai
sorti ma bouteille de liqueur que j’ai débouchée. J’ai rempli le verre
de boisson et j’ai fait ma libation en disant à Djédjé : “Si c’est
moi, Amédée Pierre qui t’a tué, que cette boisson t’enivre et que tu
n’aies pas pitié de m’emporter avec toi”. J’ai mis le verre sur ses
lèvres et la boisson a coulé. J’ai rempli le même verre et j’ai bu.
Puis, je me suis retiré. Après ceux qui ont fait leur basse besogne se
connaissent. Dans la famille, il y a eu des morts suspectes. Je suis
comme une carpe. Quand on la fait sortir de l’eau, on ne voit pas ses
larmes quand elle pleure.”
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Un reportage de Tepson Dro du Magazine Topvisages
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