Bercy 2004 a été quelque part marqué par votre
prestation avec Youssou Ndour ...
Bercy, c'était la grande fête annuelle de Youssou. Il nous
a invités à chanter avec lui Seven second en zouk. il a gardé toute la
base même et nous avons ajouté le rythme zouk dessus. Cela a, je pense,
séduit pas mal de gens. J'aurai préféré chanter en wolof. Mais c'était en
anglais et j'ai chanté en anglais (rires).
Vous aviez souligné (à la fin de votre prestation) que
le 22 mai marquait la fin de l'abolition de l'esclavage en Martinique...
Ce sont des périodes extrêmement douloureuses, des choses
que personne ne doit oublier. Le problème est que quand il y a eu
l'abolition de l'esclavage en 1848, le mot d'ordre était d'oublier cette
histoire-là. Et tout le monde a fait semblant de devenir amnésique
volontaire. A mon avis, c'est hyper dangereux, parce que les gens doivent
savoir d'où ils viennent. Ils doivent savoir ce qui s'est passé. Un peuple
qui n'a pas de racines, qui n'a pas d'histoire est un peuple qui n'existe
pas. Et qu'il est important que le monde entier le sache. Ne serait-ce que
moi quand vous me regardez, je suis issue d'un crime contre l'humanité. Je
suis le témoin vivant d'une histoire douloureuse, violente subie par
l'Afrique. La déportation de tous ces enfants, de ces hommes et femmes qui
ont traversé pendant deux mois un océan pour arriver complètement
détruits.
Quand vous êtes enchaînés et parqués dans un bateau, comme
ils l'ont été, vous ne pouvez pas arriver intacts deux mois après. Parce
que vous avez été près de la mort plusieurs fois sans jamais la recevoir.
Vous arrivez traumatisés. Et arrivés au bout, vous êtes suffisamment
fragiles pour qu'on vous fabrique comme esclave. Cette histoire ne doit
pas être oubliée. Elle doit être dite haut et fort sans aucune honte. Je
n'ai pas honte de mon histoire. Une histoire on ne peut pas l'effacer. On
ne peut pas prendre un coup de gomme et dire que cela n'a jamais existé.
Ce qu'on a proposé en échange, c'est de dire que mes ancêtres sont des
gaulois. Ils ne le sont pas. J'ai des ancêtres gaulois mais mes ancêtres
les plus blessés sont africains. (...) Ne
serait-ce que par un devoir de mémoire, nous devons redonner à ces fils
d'Afrique leur dignité, leur honneur. |
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L'histoire a été bannie. Nous sommes
obligés de fouiller partout pour la reconstituer. Ce n'est pas normal.
Des jeunes
antillais, certains pensent qu'ils sont plus adeptes de la musique.
Peut-on dire qu'ils sont intéressés par le cinéma ?
Les jeunes sont
intéressés par tout ce qui touche à l'artistique. Toute la journée quand
ils sont assis devant la télévision, on ne les montre qu'à partir du
moment où on passe sur un écran que ce soit à la télé ou au cinéma, on
devient star. Ils vivent de ce rêve en toc où il faut à tout prix être
star, passer à la télé. Sans même comprendre ni réaliser fortement qu'on
ne se déclare pas comédien, ni musicien. Mais que ce sont des métiers qui
s'apprennent. (...) Pour eux, le fait d'être star rime avec argent. Ce qui
n'est pas toujours vrai. On peut passer régulièrement à la télé et n'avoir
pas un sou en poche.
Avec plus de vingt
ans de présence sur la scène mondiale, le groupe Kassav continue de plus
belle son aventure...
L'aventure continue
bien sûr, puisse que nous allons faire trois grands concerts au Zénith,
les 4, 5 et 6 février prochains. Nous rentrons ce soir à Paris (Ndlr,
l'entretien s'est déroulé mardi 25 janvier) pour une dernière répétition
prévue ce jeudi. Et vendredi et samedi nous serons déjà en Hollande pour
animer deux concerts à Amsterdam et à Cherbourg. Nous démarrons donc les
tournées. Kassav a ses rendez-vous parisiens en plus d'une tournée
française notamment à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Le Havre, etc.
L'évolution de la
musique du Kassav amène certains à dire que le Kassav ne fait plus danser,
comme cela se faisait dans les années 80 et 90 ?
Les gens qui
considèrent que le groupe Kassav ne fait plus danser, comme dans les
années 80 et 90, sont peut être colonisés par d'autres types de musique.
J'ai eu une éducation qui est complètement éclectique. Elle me permettait
de m'ouvrir à toutes les musiques du monde. Du moment qu'une musique était
bien jouée, je juge que c'était bon.
Aujourd'hui, nous formons et
forgeons nos enfants à penser qu'il y a un style musical qui est bon, qui
fonctionne. Et que le reste est à ranger aux oubliettes. |
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Je trouve cela
vraiment dommage parce que pour des gens comme nous qui avions une culture
musicale générale extraordinaire, nous nous laissons séduire par des
pensées qui ne sont pas les nôtres.
Ces pensées, qui
ne sont pas en tout cas celles de nos parents, nous empêchent de s'ouvrir
au reste du monde. Je crois que lorsqu'on se limite à un type de musique,
on rapetisse son cerveau petit à petit. Nous continuons à aimer toutes les
musiques. La musique de Kassav est parfaitement dansable encore jusqu'à
aujourd'hui.
Qui est-ce qui fait
la particularité de votre dernier album ?
C'est un album où l'on
voit le retour de Georges Décimus. Il était à l'origine de Kassav avec
Jacob Desvarieux et Pierre Edouard Décimus. Georges était parti en 1991,
parce qu'il avait envi d'essayer autre chose. Maintenant, il est de retour
avec nous et c'est un grand bonheur. L'album est un produit qui se
présente comme nous avons l'habitude de le faire. C'est une variété du
zouk. Et puis avec tous les apports de musiques extérieures qui pourraient
y avoir. Alors que beaucoup de jeunes qui font du zouk aujourd'hui, font
le même style du début jusqu'à la fin de leurs albums. Ils ont des textes
en français qui parlent d'amour et sont un peu légers. Si les gens sont
plus aptes à accepter cette musique là qui est toute simple, cela
m'effraie un peu. Cela veut dire qu'on a perdu vraiment notre sens des
valeurs, notre sens musical.
Comment
appréciez-vous
la musique africaine ?
C'est une musique que j'ai toujours aimée
écouter. Je suis une adepte. J'ai une culture musicale qui n'est pas
obtuse. Quelque soit le pays où je vais, j'essaie de savoir ce qui s'y
passe. J'écoute la musique. Que ce soit des musiques sénégalaise,
camerounaise, zaïroise, aises, ce sont des musiques qui ne me sont pas
indifférentes. Ce sont des musiques que j'apprécie toujours du moment
qu'elles sont bien faites. Je ne parle pas des moyens de réalisation, mais
plutôt de la mélodie, des arrangements, des idées du créateur musical.
Interview
Mbagnick NGOM
Wal Fadjri (Dakar)
Réalisée le 25 janv. 2005 |