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L'interwiew du Mois


  musique

  Jocelyne Beroard  ( Kassav )   "Je suis issue d'un crime contre l'humanité"       




L'aventure du groupe Kassav continue encore. Et les seigneurs du zouk font encore bouger les foules. C'est sur des airs enthousiastes que Jocelyne Béroard affirme la conviction des membres du groupe à s'ouvrir aux apports extérieurs des autres musiques. Aujourd'hui, pour l'enfant chérie de la Martinique, les fils de la diaspora doivent se mobiliser, par devoir de mémoire, pour «redonner à ces fils d'Afrique leur dignité».


Août 98 à Ste Anne, dans la maison de vacances familiale. © Marie-Claude Beroard

Bercy 2004 a été quelque part marqué par votre prestation avec Youssou Ndour ...

Bercy, c'était la grande fête annuelle de Youssou. Il nous a invités à chanter avec lui Seven second en zouk. il a gardé toute la base même et nous avons ajouté le rythme zouk dessus. Cela a, je pense, séduit pas mal de gens. J'aurai préféré chanter en wolof. Mais c'était en anglais et j'ai chanté en anglais (rires).

Vous aviez souligné (à la fin de votre prestation) que le 22 mai marquait la fin de l'abolition de l'esclavage en Martinique...

Ce sont des périodes extrêmement douloureuses, des choses que personne ne doit oublier. Le problème est que quand il y a eu l'abolition de l'esclavage en 1848, le mot d'ordre était d'oublier cette histoire-là. Et tout le monde a fait semblant de devenir amnésique volontaire. A mon avis, c'est hyper dangereux, parce que les gens doivent savoir d'où ils viennent. Ils doivent savoir ce qui s'est passé. Un peuple qui n'a pas de racines, qui n'a pas d'histoire est un peuple qui n'existe pas. Et qu'il est important que le monde entier le sache. Ne serait-ce que moi quand vous me regardez, je suis issue d'un crime contre l'humanité. Je suis le témoin vivant d'une histoire douloureuse, violente subie par l'Afrique. La déportation de tous ces enfants, de ces hommes et femmes qui ont traversé pendant deux mois un océan pour arriver complètement détruits.

Quand vous êtes enchaînés et parqués dans un bateau, comme ils l'ont été, vous ne pouvez pas arriver intacts deux mois après. Parce que vous avez été près de la mort plusieurs fois sans jamais la recevoir. Vous arrivez traumatisés. Et arrivés au bout, vous êtes suffisamment fragiles pour qu'on vous fabrique comme esclave. Cette histoire ne doit pas être oubliée. Elle doit être dite haut et fort sans aucune honte. Je n'ai pas honte de mon histoire. Une histoire on ne peut pas l'effacer. On ne peut pas prendre un coup de gomme et dire que cela n'a jamais existé. Ce qu'on a proposé en échange, c'est de dire que mes ancêtres sont des gaulois. Ils ne le sont pas. J'ai des ancêtres gaulois mais mes ancêtres les plus blessés sont africains. (...) Ne serait-ce que par un devoir de mémoire, nous devons redonner à ces fils d'Afrique leur dignité, leur honneur.

 

L'histoire a été bannie. Nous sommes obligés de fouiller partout pour la reconstituer. Ce n'est pas normal.

Des jeunes antillais, certains pensent qu'ils sont plus adeptes de la musique. Peut-on dire qu'ils sont intéressés par le cinéma ?

Les jeunes sont intéressés par tout ce qui touche à l'artistique. Toute la journée quand ils sont assis devant la télévision, on ne les montre qu'à partir du moment où on passe sur un écran que ce soit à la télé ou au cinéma, on devient star. Ils vivent de ce rêve en toc où il faut à tout prix être star, passer à la télé. Sans même comprendre ni réaliser fortement qu'on ne se déclare pas comédien, ni musicien. Mais que ce sont des métiers qui s'apprennent. (...) Pour eux, le fait d'être star rime avec argent. Ce qui n'est pas toujours vrai. On peut passer régulièrement à la télé et n'avoir pas un sou en poche.

Avec plus de vingt ans de présence sur la scène mondiale, le groupe Kassav continue de plus belle son aventure...
 

L'aventure continue bien sûr, puisse que nous allons faire trois grands concerts au Zénith, les 4, 5 et 6 février prochains. Nous rentrons ce soir à Paris (Ndlr, l'entretien s'est déroulé mardi 25 janvier) pour une dernière répétition prévue ce jeudi. Et vendredi et samedi nous serons déjà en Hollande pour animer deux concerts à Amsterdam et à Cherbourg. Nous démarrons donc les tournées. Kassav a ses rendez-vous parisiens en plus d'une tournée française notamment à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Le Havre, etc.

L'évolution de la musique du Kassav amène certains à dire que le Kassav ne fait plus danser, comme cela se faisait dans les années 80 et 90 ?

Les gens qui considèrent que le groupe Kassav ne fait plus danser, comme dans les années 80 et 90, sont peut être colonisés par d'autres types de musique. J'ai eu une éducation qui est complètement éclectique. Elle me permettait de m'ouvrir à toutes les musiques du monde. Du moment qu'une musique était bien jouée, je juge que c'était bon.
Aujourd'hui, nous formons et forgeons nos enfants à penser qu'il y a un style musical qui est bon, qui fonctionne. Et que le reste est à ranger aux oubliettes.

 

Je trouve cela vraiment dommage parce que pour des gens comme nous qui avions une culture musicale générale extraordinaire, nous nous laissons séduire par des pensées qui ne sont pas les nôtres.

Ces pensées, qui ne sont pas en tout cas celles de nos parents, nous empêchent de s'ouvrir au reste du monde. Je crois que lorsqu'on se limite à un type de musique, on rapetisse son cerveau petit à petit. Nous continuons à aimer toutes les musiques. La musique de Kassav est parfaitement dansable encore jusqu'à aujourd'hui.

Qui est-ce qui fait la particularité de votre dernier album ?
 

C'est un album où l'on voit le retour de Georges Décimus. Il était à l'origine de Kassav avec Jacob Desvarieux et Pierre Edouard Décimus. Georges était parti en 1991, parce qu'il avait envi d'essayer autre chose. Maintenant, il est de retour avec nous et c'est un grand bonheur. L'album est un produit qui se présente comme nous avons l'habitude de le faire. C'est une variété du zouk. Et puis avec tous les apports de musiques extérieures qui pourraient y avoir. Alors que beaucoup de jeunes qui font du zouk aujourd'hui, font le même style du début jusqu'à la fin de leurs albums. Ils ont des textes en français qui parlent d'amour et sont un peu légers. Si les gens sont plus aptes à accepter cette musique là qui est toute simple, cela m'effraie un peu. Cela veut dire qu'on a perdu vraiment notre sens des valeurs, notre sens musical.

Comment
appréciez-vous
la musique africaine ?

C'est une musique que j'ai toujours aimée écouter. Je suis une adepte. J'ai une culture musicale qui n'est pas obtuse. Quelque soit le pays où je vais, j'essaie de savoir ce qui s'y passe. J'écoute la musique. Que ce soit des musiques sénégalaise, camerounaise, zaïroise, aises, ce sont des musiques qui ne me sont pas indifférentes. Ce sont des musiques que j'apprécie toujours du moment qu'elles sont bien faites. Je ne parle pas des moyens de réalisation, mais plutôt de la mélodie, des arrangements, des idées du créateur musical.
 

 

 

Interview Mbagnick NGOM
Wal Fadjri
(Dakar)
Réalisée le 25 janv. 2005


Visitez le site officiel de l'artiste         http://www.jocelyneberoard.com


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