Au bout d’un petit
chemin de terre, « derrière le goudron et la station Shell », un
petit panneau jaune et bleu indique modestement la direction de l’unique
usine de cassettes du Mali, Mali K7. Ici, point de stock à perte de vue,
de bureaux flambants neufs ou d’objets promotionnels. Une simple bâtisse
abrite les machines de pressage de cassettes et de pochettes (souvent
fignolées à la main), les bureaux, le magasin et l’accueil de Mali K7, la
maison de disques du célèbre Ali Farka Touré, de Lobi Traoré ou encore de
Neba Solo.
Un vieux poste
crachotte un hit d’Alpha Blondy, repris par la personne de l’accueil,
occupée à découper des pochettes de cassettes, sous des posters d’Oumou
Sangare. A 850F CFA la cassette (soit 8,50 francs, 1,30 euros ), il faut
faire simple et efficace. Depuis 1992, les prix n’ont pas bougé malgré la
déflation du franc CFA et l’augmentation du prix des matières premières
(courant électrique, papier).
De l’autre côté
de la route, s’échappent les mélopées électro-traditionnelles de Moussa
Koné (guitariste d’Ali Farka Touré) qui répète avec Issa Bagayogo, au
Studio Bogolan, le studio de Mali K7 monté par Philippe Berthier. Depuis
une quinzaine d’années, ce Lyonnais a vu la production musicale du pays
évoluer. Plusieurs studios se sont construits. Des producteurs maliens et
étrangers sont arrivés. De plus, un bureau de droits d’auteurs affilié à
la SACEM (Société française des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de
Musique) a été créé. Mais les acteurs du marché musical ne reçoivent
toujours aucune aide à la production.
Si la société ne produit aujourd’hui que six à sept albums par an, elle
distribue en revanche tous les artistes maliens (soit une vingtaine de
nouveaux albums chaque mois), et fournit aux marchés, les albums des stars
étrangères du moment (Janet Jackson ou Mariah Carey, Whitney Houston) dont
il assure la distribution locale.
Rencontre avec le chef d’une entreprise musicale où une quinzaine de
personnes pressent les rêves de beaucoup de Maliens…
Comment un
Lyonnaisse hisse-t-il à la tête de la production des cassettes du Mali ?
Je suis venu par hasard au Mali, en 1982, pour voir des amis. Lorsque je
suis rentré à Lyon où j’avais des magasins de disques punk-rock, j’ai eu
le blues : je voulais vivre en Afrique. J’ai pris la route en voiture pour
traverser l’Europe et le Nord de l’Afrique. Je suis resté trois mois en
Algérie et je suis arrivé à Bamako en janvier 1985. J’ai d’abord travaillé
dans une grosse entreprise française avec l’idée de monter une structure
ici. |
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Je suis parti
quelque temps travailler au Zaïre, puis je suis rentré en France, acheter
du matériel pour monter un studio.
Fin 1988, j’ai donc monté le premier studio d’enregistrement multipistes
du Mali, à Bamako. Avant, le pays ne disposait que du studio deux pistes
de l’ORTM, la radio nationale malienne. Puis, il a fallu aussi créer une
structure qui puisse fabriquer des cassettes. Sur le marché, il n’y avait
que des cassettes pirates qui venaient de l’étranger. Un an plus tard,
j’ai donc monté une structure de reproduction de cassettes qui s’appelait
Oubien Productions. En 1992, on s’est associé avec la maison de disques
EMI qui avait aussi des filiales en Côte d’Ivoire, au Nigeria… mais elle
s’est totalement retirée du continent (sauf en Afrique du Sud) en 1995. A
cette époque, je me suis donc associé avec Ali Farka Touré, qui venait de
recevoir un Grammy Award, pour monter Mali K7.
Votre plus
gros problème reste la piraterie. N'étiez vous pas près de fermer boutique
à cause de la cela ?
Fin 1999, on a été obligé de fermer Mali K7 pendant un mois et demi parce
qu’on était au chômage technique. Cela a créé une crise nationale ! Je
suis passé au journal télévisé, les artistes ont fait une marche et sont
allés voir le Premier ministre de l’époque, il y a eu une grande
conférence nationale entre producteurs, artistes, policiers, douaniers.
Cela n’a pas réglé tous les problèmes, mais cette crise a permis une prise
de conscience.
Depuis un an, il y a un léger mieux parce que la douane a décidé
d’appliquer des règles strictes à tous les produits qui entrent au Mali.
Cela a permis de faire baisser la piraterie. Nous avons même coincé un
pirate à qui l’on a fait un procès avec une quinzaine d’artistes. Nous
l’avons gagné, mais la procédure est actuellement en appel.
Qu’est ce qui
a changé dans le paysage musical malien depuis votre arrivée ?
Le Mali est un pays où il y beaucoup d’artistes et beaucoup de styles
différents du Nord au Sud, entre la musique tamachek, ou wassoulou,
mandingue, peule, ou dogon. La musique du Nord marche beaucoup plus à
l’extérieur du Mali que dans le pays, mais il y a beaucoup d’autres styles
qui ne sont pas connus à l’étranger.
Quand je suis arrivé, la grosse tendance c’était les griots, alors
qu’aujourd’hui ces productions ne représentent plus la majorité de ce qui
sort au Mali. La musique a évolué : il y a de nouveaux styles comme le hip
hop, la musique électronique d’Issa Bagayogo ou Nahawa Doumbia.
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Il y a de plus en
plus de gens qui cherchent à innover. Je pense que c’est un peu nous qui
avons fait bouger les choses grâce à notre studio, et parce que nous avons
fait découvrir d’autres musiques aux gens.
Au sein de ce
riche vivier musical, comment choisissez-vous les artistes que vous
produisez ?
Nous distribuons des centaines d’artistes, mais nous n’en produisons
qu’une dizaine par an. On cherche des talents originaux bien sûr, mais
aussi des gens capables de créer un nouveau son et de s'ouvrir. On a par
exemple une jeune chanteuse dogon, Dene Issebere, qui touche à différents
styles. Un de mes projets serait de faire une musique dogon moderne.
La promotion
des artistes est-elle facile ?
C’est beaucoup plus facile qu’en France car il n’y a qu’une seule
télévision et très peu de radios, donc on se connaît facilement. Ce sont
plutôt eux qui sont demandeurs de musiques. Il est donc très aisé de faire
passer un artiste à la télévision, à la radio ou dans la presse. Ce qui
est plus compliqué, c’est de développer la carrière de nos artistes à
l’international. C’est pour cela que je vais au MIDEM tous les ans, grâce
à l’Agence Internationale de la Francophonie. Cela m’a permis de sortir
des titres sur des compilations étrangères et surtout de signer un contrat
international avec le label américain Six Degrees pour Issa Bagayogo, par
exemple.
Quelles sont
vos meilleures ventes actuellement au Mali ?
Cette année, nous avons vendu environ 900.000 cassettes. Celles qui ont le
mieux marché sont celle d’Oumou Sangare (plus de 100.000 exemplaires,
c’est la plus grosse vente de tous les temps au Mali), celle de Ramata
Diakité (80.000) et celle d’une griotte qui faite fureur en ce moment, Mah
Kouyaté (80.000).
Sur quels
points de ventes distribuez-vous vos cassettes ?
Nos cassettes sont essentiellement distribuées par le secteur informel,
dans des petites boutiques ou sur les marchés. Mais à Bamako, un vrai
magasin de disques, Musicland, vient d’ouvrir. Il est situé en centre
ville. Là, on peut acheter des disques et des cassettes. C’est le seul
endroit où l’on peut acheter les Beatles comme Amy Koita. On y trouve
aussi des CDs, qui se vendent de plus en plus… mais ils sont aussi souvent
piratés.
Elodie Maillot
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